Le temps du numérique

Publié le 30 novembre 2025 à 11:47

Partie 1

Nous sommes passés d’un rapport à l’espace virtuel dans lequel nous pouvions nous perdre, voyager sans but à l’influence d’un rapport au temps numérique qui échappe au temps du vivant avec désormais pour horizon le dépassement de la notion même d’espace-temps commun.

Les premiers temps de l’internet identifiaient un espace sémantique ancré dans le réel, simple porte dérobée capable de nous permettre de sortir pendant un temps limité (l’accès était coûteux) de notre environnement physique.

Nous « surfions » sur la « toile » avec des « navigateurs ».

Désormais l’usage des algorithmes conversationnels remplace celui des « moteurs » de recherche.

Les informations qui nous sont transmises sont bien entendu en relation avec une réalité présente sous la forme d’un défaut de connaissance.

Nous avons besoin d’une information pour répondre à une question que nous nous posons ou qui nous est posée. Il peut s’agir d’une question qui nécessite un raisonnement, l’expression d’une logique à l’œuvre capable de créer les conditions d’un partage de sens.

L’usage de cet « outil » numérique produit les effets d’un court-circuit, nous permettant d’accéder à la conclusion du raisonnement, la solution, sans en emprunter les différentes étapes.

Nous ne disposons pas des moyens ni du temps pour remonter à la source de l’information pour en valider les différentes étapes et prémices.

Cette disposition est une source d’économie cognitive dans une démarche qui consiste à cibler l’efficience pour libérer du temps, être plus efficace dans d’autres actions.

Et c’est là que commence la désynchronisation voire l’impossible partage d’un espace-temps commun.

Dans l’économie fordienne, chaque agent était centré sur sa tâche et avait pour consigne de ne pas se préoccuper des autres agents ni de leurs tâches.

Dans l’économie de l’usage des outils numériques, chaque acteur vient renforcer les performances d’outils communs alimentés par des informations qui ne font l’objet d’aucune validation heuristique ou pratique.

Le lien à l’outil est impersonnel, bureaucratique dans un sens et personnalisé dans l’autre sens avec la constitution d’un profil de plus en plus précis et complet capable de créer les conditions d’apparition d’un double numérique auquel sont attachés les droits de l’individu.

L’accès au double numérique est lui-même médiatisé et conditionné par l’usage d’identifiants et mots de passe qui sont amenés à se combiner dans un seul identifiant, version numérique de l’individu physique, porteur de droits naturels et civils.

L’entrée dans l’âge de l’identité numérique produit les effets d’une désynchronisation du rapport au temps des acteurs physiques et à la limitation de leurs échanges interpersonnels.

Cet effet ne procède pas simplement de l’usage des outils numériques eux-mêmes mais d’un usage qui ne permet pas de partager un espace-temps commun assez vaste pour laisse la place au hasard et à la rencontre inopinée.

Nous faisons tous l’expérience de la difficulté qu’il y a désormais à rencontrer l’autre sans passer par une opération qui consiste à se « libérer du temps ».

Il est alors question, en toute conscience de trouver un bref espace-temps commun propice à l’échange informel qui ne permet pas l’élaboration d’un temps commun structuré et inscrit dans le temps, tracé, matériellement tracé comme cela pouvait être le cas du temps à l’issue d’un échange de lettres. Les preuves numériques falsifiables tendent à se substituer du simple fait de la place prise par ces outils dans notre vie personnelle et professionnelle aux preuves matérielles, intangibles.

L’échange entre individus pris au sens premier renvoyait à la faculté de constituer un code commun, une compréhension commune d’une vie partagée qui ne se limitait pas à l’accès à des plateformes d’exposition numérique d’une vie sociale réduite aux images ou aux partages de « post » plus ou moins « likés ».

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