Questions d'actualité


They Were Supposed to Save Europe. Instead, They’re Condemning It to Horrors.

3  décembre 2025

Par David Broder (traduction par Microsoft de l'article du NYT)

David Broder est un expert de la politique européenne et l'auteur de « Mussolini's Petits-Enfants ». Il écrivait depuis Berlin.

Il y a environ dix ans, une vague de populisme a déferlé sur l'Europe. Sous le choc de la crise financière, les électeurs ont flirté avec des alternatives risquées aux partis traditionnels, menaçant de troubles dans la politique habituellement stable du continent. Ce fut une période troublante pour les dirigeants européens. Mais les experts les ont assurés que le risque d'une prise de contrôle par l'extrême droite était exagéré. Des systèmes électoraux robustes, des souvenirs non lointains de dictatures et un faible soutien parmi les électeurs plus riches, pensaient-ils, imposaient des plafonds stricts au soutien des insurgés.

Aujourd'hui, il est clair que leur confiance s'est trompée. Les partis d'extrême droite ont continué à accumuler des voix, à s'établir dans les institutions européennes, à inverser les principes clés de la transition verte et à imposer des politiques frontalières plus strictes. Ils règnent en Hongrie et en Italie et le feront bientôt en République tchèque ; même dans la Finlande et la Suède historiquement social-démocrates, les dirigeants conservateurs comptent sur leur soutien. Ils ont une pom-pom girl dans le Bureau ovale et une autre sur le X.

Le pire pourrait encore venir. Dans les principales économies européennes, les gouvernements centristes échouent lamentablement. En France, l'administration du président Emmanuel Macron est en chute libre alors que le Rassemblement national de Marine Le Pen domine les sondages. En Allemagne, le chancelier Friedrich Merz semble incapable de détourner les électeurs de l'Alternative nativiste pour l'Allemagne, même si les services de renseignement du pays l'ont qualifiée de menace extrémiste. En Grande-Bretagne, le Premier ministre Keir Starmer sombre presque aussi vite que la réforme anti-immigrés au Royaume-Uni s'élève. Le décor est prêt pour un glissement à l'extrême droite.

Image

Le soutien à Alternative pour l'Allemagne grandit, même si les services de renseignement du pays l'ont qualifié de menace extrémiste. Crédit... Aliona Kardash pour The New York Times

Cela n’est pas une fatalité. Ailleurs en Europe, les gouvernements pluralistes et traditionnels ont montré qu'il est possible de repousser l'extrême droite — non seulement en dénonçant le danger populiste, mais aussi en convainquant les électeurs avec un projet clair pour l'avenir. L'extrême droite s'adresse aux aliénés ; elle prospère lorsque ses adversaires naturels perdent espoir et cessent de se présenter. Pour la vaincre, les gouvernements doivent construire un consensus autour d'une démocratie plus forte, plus verte, plus sûre, capable d'inspirer leurs propres partisans et de reconquérir les désabusés.

Heureusement, cela reste possible. Les dirigeants centristes à Paris, Berlin et Londres sont catégoriques : la montée de l'extrême droite n'est pas inévitable. En effet, ils disent souvent que l'arrêter est l'une de leurs missions principales. Le problème : ils sont en train de tout foirer.

« Je ferai tout pour que vous n’ayez plus jamais de raison de voter pour les extrêmes. »

Nous étions en mai 2017, et la France venait d'élire M. Macron président pour la première fois. S'exprimant à l'extérieur du Louvre, il a fait une promesse aux électeurs de Mme Le Pen, insistant sur le fait qu'il pouvait répondre à leurs insécurités. Dans les mois qui suivirent, il vanta souvent son projet d’étouffer le soutien au Rassemblement national. Sa promesse était centrée sur un redémarrage économique, transformant la France en ce qu'il appelait une « nation start-up » dynamique.

Dès le départ, c'était une mission venue d'en haut. En tant que président jupitérien, au-dessus de la politique ordinaire, M. Macron promettait aux Français de souffrir aujourd’hui pour en être récompensés demain. Beaucoup pouvaient critiquer ses politiques, allant des baisses d'impôts pour les plus riches à un âge de retraite plus élevé. Ils pouvaient même être choqués par  une application brutale des manifestations. Mais il semblait croire qu'ils finiraient par récolter les fruits économiques et le remercier.

Ils ne l'ont pas fait. En 2022, les électeurs lui ont retiré sa majorité. M. Macron a répondu en contournant le Parlement pour faire passer sa modification de la pension et, en 2024, il a convoqué des élections législatives anticipées. Au lieu de lui donner un mandat, les Français le réprimandaient, produisant une législature paralysée incapable d'un gouvernement stable. La France a désormais changé 5 fois de Premier ministre en deux ans. M. Macron pourrait bien arriver à la fin de son mandat en 2027, mais Mme Le Pen et le Rassemblement national attendent dans

Si M. Macron est trop ferme depuis une position de faiblesse, M. Starmer est trop prudent depuis une position de force. Bien que son Parti travailliste ait remporté une majorité écrasante au Parlement l'an dernier, il a gouverné avec une audace frappante. Sa devise de gestion économique avisée — freiner les dépenses aujourd'hui et espérer une croissance demain — n'a pas inspiré les électeurs, et son aura précoce de prudence managériale s'est évaporée. Les coupes budgétaires pour les retraités et les personnes handicapées se sont révélées si impopulaires qu'elles ont dû être abandonnées, laissant le gouvernement en désarroi.

Cela n'aide pas que M. Starmer ait combiné cette absence de but à une tendance répressive. Après avoir sévèrement sanctionné les députés travaillistes sur les votes sur l'aide sociale, il a réprimé les manifestations pro-palestiniennes, désignant de manière extravagante l'organisation militante Palestine Action comme un groupe terroriste. De nombreuses manifestations massives contre l'interdiction, avec des images de grands-mères au tempérament doux emmenées par la police, ont rendu la liberté d'expression une blessure ouverte pour lui.

Cela contraste fortement avec l'échec du gouvernement à relever le défi posé par Reform U.K. et son dirigeant exubérant, Nigel Farage. M. Starmer a oscillé de manière erratique entre la rumination sur les dangers que représente l'immigration pour la cohésion nationale — dans un langage qu'il a ensuite déclaré  regretter — et le fait de racistes les politiques du parti. Tout au long de cette période, il n'a pas réussi à combattre le récit du Parti réformiste ni à prendre l'initiative politique ailleurs. Il n'est donc pas étonnant que le soutien au Labour ait chuté à seulement 18 %, contre 30 % pour le Reform.

En Allemagne, M. Merz — le plus récent des trois dirigeants — a été plus franc. Il peut se targuer d'une grande innovation depuis sa victoire aux élections de février : l'assouplissement des limites sur l'emprunt public pour investir dans l'armée. Il est trop tôt pour juger des résultats, mais les enjeux sont élevés. Les démocrates-chrétiens de M. Merz et leurs partenaires de coalition, les sociaux-démocrates, ont misé l'avenir de l'Allemagne sur la remilitarisation non seulement pour se défendre contre la Russie, mais aussi comme stratégie indispensable pour la relance industrielle.

Jusqu'à présent, la stratégie ne montre aucun signe de détacher l'Alternative pour l'Allemagne en pleine ascension. Bien que le parti ait résisté à l'assouplissement des limites d'emprunt, il appelle lui aussi à une expansion massive de l'industrie militaire et de l'armée — bien que sous la direction allemande plutôt qu'européenne. Elle déplore les plans de l'UE pour une réindustrialisation verte mais est plus ouverte à la création d'emplois dans l'industrie de l'armement.

Merz insiste sur le fait que le gouvernement réussi répondra à l'appel de l'Alternative pour l'Allemagne. Mais le parti ne cesse de se renforcer, opérant comme la principale opposition et dominant régulièrement les sondages nationaux. Une partie de son soutien provient de son appel à couper le soutien militaire allemand à l'Ukraine. Pourtant, sa capacité à capturer son programme phare, avec la militarisation comme moyen de rendre l'Allemagne à nouveau grande, devrait donner matière à réflexion au chancelier.

Ces gouvernements sont bien sûr différents. Mais ils ont tous adopté l'antipathie de leurs opposants envers la migration. En France, M. Macron — dénonçant le « processus de décivilisation » mené par les nouveaux arrivants — s'est appuyé sur les députés du Rassemblement national pour limiter les droits de protection sociale des immigrés. En Grande-Bretagne, M. Starmer s'est excusé pour les « dégâts incalculables » causés par la migration massive et a introduit des changements draconiens aux règles d'asile. En Allemagne, M. Merz a augmenté les expulsions et s'est engagé à « procéder à des expulsions à très grande échelle », présentant les migrants comme un danger pour les femmes.

Si cela vise à rallier les électeurs mécontents de l'immigration, cela n'a pas fonctionné. Au lieu de récompenser les imitateurs centristes pâles, ils se tournent de plus en plus vers le vrai.

Pas apparemment au Danemark.

Lors des élections européennes de 2014, le Parti populaire danois nationaliste a obtenu près de 27 % des voix — une percée qui annonçait un grand avenir. Pourtant, lors de l'élection équivalente en 2024, elle n'a obtenu que 6 %. En une décennie où l'extrême droite a envahi l'Europe, elle a reculé au Danemark. Que s’est-il passé?

Pour certains, la réponse semble claire : le gouvernement de centre-gauche, sous la Première ministre Mette Frederiksen, a réprimé l'immigration. Il est vrai qu'elle, en fonction depuis 2019, a adopté une approche sévère de la question. Traitant les nouveaux arrivants comme des résidents temporaires plutôt que permanents pour s'intégrer, elle a poussé les Syriens à quitter le Danemark, réduit le logement social dans les zones à forte population minoritaire et signé un accord avec le Rwanda pour traiter les migrants sur le sol africain. Selon les admirateurs, cette approche a porté ses fruits avec sa réélection en 2022.

Ce récit est au mieux unidimensionnel et, au pire, un mythe. Le premier gouvernement de Mme Frederiksen, qui s'appuyait sur le soutien de la gauche et d'un parti libéral, s'est distingué non seulement par son attitude stricte envers la migration, mais aussi par son ambitieux programme de réindustrialisation verte. Elle a planifié d'énormes investissements dans les renouvelables, fixé  des objectifs internationalement avancés pour réduire les émissions et — seule parmi les principaux producteurs de pétrole — fixé une date juridiquement contraignante pour arrêter le forage.

Le gouvernement a insisté sur le fait que la conversion aux emplois verts n'était pas la fin de la prospérité danoise mais le moyen nécessaire pour y parvenir — et a soutenu cette affirmation par des financements. L'interventionnisme économique, associé à une histoire convaincante sur la confrontation d'un défi déterminant de l'époque, a apporté le succès électoral. Aujourd'hui, les plus grandes préoccupations des Danois  sont le changement climatique et les soins de santé, pas l'immigration.

L'Espagne est beaucoup plus grande, plus divisée en interne et bien moins riche que le Danemark. Mais si quelque chose, ses leçons pour tenir l'extrême droite à distance sont plus généralisables. Premier ministre depuis 2018, Pedro Sánchez est le politicien de centre-gauche le plus performant en Europe et figure parmi les chefs de gouvernement ayant servi le plus longtemps dans l'Union européenne. Après près de six ans en coalition avec des partis de gauche, son Parti socialiste ouvrier espagnol obtient environ 30 % de sondages

Comment? En prenant parti. Pendant la pandémie, le gouvernement a plafonné les prix de l'énergie, reconnu les livreurs utilisant des applications  comme des travailleurs ayant des droits et rétabli certaines protections du travail. Elle a ensuite fortement augmenté le salaire minimum et imposé de grandes fortunes. Donnant à sa base des raisons de s'y tenir, le parti de M. Sánchez a détourné la tendance des électeurs à faibles revenus et moins instruits à se détourner. Et elle l'a fait tout en poursuivant une  politique migratoire globalement accueillante.

Ce n'est pas un simple chemin. M. Sánchez a fait face à des tensions au sein de sa coalition, à une justice très politisée et à des conflits liés au séparatisme catalan. On s'attendait largement à ce qu'il perde les élections de 2023 face à une coalition de droite comprenant l'ultranationaliste Vox. Pourtant, il a contrecarré sa montée en augmentant la participation — non seulement en mettant en garde contre la menace d'extrême droite, mais aussi en ralliant les électeurs derrière les réalisations de son gouvernement. Il raconta aux Espagnols une histoire sur leur prospérité future et les dangers qu'elle encourrait. Et ça a marché.

Les deux Premiers ministres ont des problèmes. Après la réélection de Mme Frederiksen, elle s'est tournée vers des alliés plus centristes et a commencé à perdre du soutien. Les principaux bénéficiaires ont été les partis de gauche avec lesquels elle s'alliait autrefois, mais de petites organisations anti-immigration émergent également. Mme Frederiksen, dont les sociaux-démocrates ont obtenu de mauvais résultats lors des élections locales du mois dernier, n'est clairement plus la force électorale qu'elle était autrefois. Pourtant, l'enthousiasme des électeurs pour d'autres options progressistes montre que le ressentiment nationaliste n'est pas la seule alternative.

Sánchez a aussi eu des difficultés. Sans majorité depuis 2023, il n'a pas réussi à faire adopter un budget. En l'absence de nouvelles mesures redistributives, le soutien populaire à ses alliés de gauche s'est effondré, et les scandales au sein de son parti ont alimenté de furieux appels à sa démission. Les sondages de Vox ont augmenté, et une extrême droite plus étrange, plus jeune et plus théoricienne du complot s'est formée. De façon inquiétante, il s'appelle The Party's Over.

Même si ces dirigeants sont plus assiégés qu'autrefois, leur bilan montre la valeur de l'audace politique. Ils ont changé les agendas nationaux, politisant les questions de justice économique et fiscale et montrant aux électeurs manuels que les partis traditionnels sont de leur côté. D'autres dirigeants européens devraient tirer la leçon — et peuvent encore le faire.

En France, cela pourrait impliquer une taxe sur la richesse, la stabilisation du gouvernement et la collecte de recettes indispensables. En Grande-Bretagne, le gouvernement pourrait améliorer le niveau de vie en limitant les factures sur le gaz, en taxant les géants de l'énergie et en relançant les plans d'investissement verts. En Allemagne, le gouvernement pourrait assouplir les limites d'investissement pour renouveler les infrastructures, du rail au logement, et offrir un autre type de stimulation économique.

Loin d'être une question de rêve, tout cela est politiquement réalisable : les chiffres sont présents au Parlement, et tous ont du temps avant les prochaines élections. Alors que les partis d'extrême droite se font passer pour la voix des gens ordinaires, la plupart des électeurs ne se sont pas encore ralliés à leur cause et aspirent à retrouver des raisons d'espérer. Il ne faudrait pas grand-chose à ces gouvernements pour leur en donner.

Et s'ils ne le font pas ? Certains se contentent désormais de la consolation que, lorsque les partis d'extrême droite atteignent le pouvoir, ils perdent rapidement leur élan.

Ils pourraient citer les récentes élections néerlandaises, où le Parti de la liberté nationaliste de Geert Wilders — la plus grande force du gouvernement sortant — a perdu du terrain face aux libéraux démocrates 66. Le court passage infructueux du Parti de la Liberté au pouvoir raconte une histoire rassurante de l'incompétence invétérée des populistes. Pourtant, cette conclusion heureuse ne reflète pas tout à fait le résultat de l'élection. Alors que M. Wilders s'effondrait, ses anciens partisans se sont principalement tournés vers des partis similaires et le vote global d'extrême droite est resté ferme. Sa marche a peut-être été arrêtée, mais l'extrême droite continue de se renforcer.

D'ici 2030, il y a de fortes chances que nous parlions non pas d'électeurs flirtant avec le populisme, mais de partis d'extrême droite à la tête des principaux pays européens. Des figures comme M. Farage, Mme Le Pen et M. Wilders pourraient avoir une influence à travers l'Europe. S'ils le font, ils hériteront d'États aux pouvoirs nouveaux et dangereux. Le renforcement des forces armées continentales, alors que les pays augmentent les dépenses militaires et remobilisent les jeunes en uniforme, en est un exemple frappant. Il en va de même pour les mesures répressives prises par les gouvernements pour étouffer la dissidence et les protestations, notamment sur les questions de guerre et de paix.

Même si les gouvernements français éphémères ont un soupçon de Weimar, ce n'est pas un retour au fascisme historique. Les partis d'extrême droite d'aujourd'hui sont plus susceptibles de mobiliser des masses en ligne que de manifestations de masse dans la rue. Leurs intérêts nationaux diffèrent souvent, tout comme leurs idées : certains sont plus de bien-être, d'autres technolibertariens ou théoriciens du complot. Mais malgré toutes leurs différences, ils peuvent clairement conclure des accords avec des conservateurs plus traditionnels et pro-entreprises. Ils sont prêts à faire avancer une nouvelle croyance d'europeïté assiégée, sans quitter l'Union européenne mais la transformer de l'intérieur.

À quoi ressemblerait une Union européenne d'extrême droite ? L'agenda du Pacte vert européen disparaîtrait, pour commencer. Au lieu de cela, les investissements européens seraient probablement destinés à reconstruire les armées nationales, à étendre l'appareil des déportations massives et à renforcer les frontières extérieures de l'Europe. La privatisation progressive, en particulier celle des soins de santé, pourrait être combinée à une police basée sur l'IA pour discipliner les pauvres et les précaires.

Les réfugiés ukrainiens, dans le cadre d'un revirement plus large contre l'Ukraine, seraient traités avec suspicion, et les musulmans ainsi que d'autres minorités seraient ciblés pour des rapatriements forcés dans le cadre d'un programme cruel de soi-disant remigration. Si le continent sombre dans une guerre totale — une menace réelle alors que l'ordre international s'effondre — la détention des « indésirables » et la conscription massive pour les autres ne seraient pas loin derrière.

Même une époque aussi sombre des années 2030 différerait à certains égards des années 1930. Il n'est pas encore minuit au siècle. Mais une Europe cédée aux idéologues d'extrême droite et redevable à une Amérique nativiste pourrait supporter ses propres horreurs. À moins que les gouvernements centristes du continent ne changent de cap, l'extrême droite peut s'approprier l'Europe. Après cela, tout est possible.


Appréhender la menace russe, de l'Ukraine au retour du service militaire [Le Casque et la plume #16]

2 décembre 2025


« Macron : la stratégie du chaos » avec Aude Lancelin, Marc Endeweld et Harold Bernat [ACCÈS LIBRE]

27 novembre 2025


Clef de voûte de l’épisode mémoriel relatif aux attentats du 13 novembre 2015, la série de Jean-Xavier Lestrade, Des vivants, produite et diffusée par France Télévision, contribue à faire de cette séquence ce que Todd avait appelé un « flash totalitaire ». Elle révèle à quel point ces dix années écoulées depuis la nuit d’épouvante ne nous ont strictement rien appris, et laisse apercevoir pourquoi… Décryptage de cette série qui édifie un tombeau pour l’analyse (et pour la paix).

Judith BERNARD

Médias 19 novembre 2025

Le projet était prometteur : 8 épisodes d’une heure chacun, pour revenir, dix ans après, sur ce trauma collectif et les mille et une manières de s’en remettre ou pas, c’était sur le papier une assez belle occasion de regarder en face ce qui nous était arrivé. On a intensément besoin de ça, que les séries permettent : un récit largement déployé dans le temps et un dispositif choral sont en principe les gages d’une précieuse polyphonie où profondeur, complexité et conflictualité trouveront à s’articuler.

Une chorale totalitaire

Las : au lieu d’une riche polyphonie, c’est l’unisson d’une chorale indigente dans son propos, et totalitaire dans sa vision. Le cœur prétendument paradoxal de cette « reconstitution », c’est la résilience : le récit accompagne cette partie des rescapés qui se trouvaient dans le couloir du Bataclan, où ils ont été retenus en otages pendant près de 2h30, par deux des assaillants, équipés de kalashnikovs et de gilets explosifs.

Dans la série comme dans la vraie vie, ils s’appellent Arnaud, Marie, David, Sébastien, Grégory, Stéphane, Caroline. Si ces survivants ont aperçu la vision d’épouvante de la fosse jonchée de cadavres atrocement mutilés, s’ils ont senti l’odeur de poudre et de sang qui s’en élevait, ils n’ont, pour leur part, « que » des blessures psychiques, et c’est à leur souffrance morale que se consacre la série. Souffrance indiscutable, souffrance irrémissible, que le spectateur épouse d’épisode en épisode avec d’autant plus d’empathie qu’il y est très entraîné – c’est la grande spécialité des récits de nos contrées : l’âme et ses tourments, que la société veut voir guérir sans trop de délai (ainsi va la « résilience ») tandis que le sujet, lui, éprouve le présent perpétuel du trauma, que rien ne peut abolir.

Le faux paradoxe est là, donc : les personnages sont assignés à une condition qu’ils refusent explicitement, ils ont en horreur le mot « résilience », et le disent encapsulés dans une série qui la met pourtant en scène, lentement, sûrement, inexorablement. Que l’un des vrais rescapés du couloir ait découvert, après coup, que cette série s’était faite sans qu’il soit consulté ni qu’il y consente1 (alors qu’il y est représenté de manière précise et reconnaissable) dit assez la puissance de bulldozer de l’injonction narrative : il y a sur cette expérience collective UNE histoire à raconter, elle sera racontée qu’on le veuille ou non, et de la seule manière que la doxa prévoit : sous le signe de la résilience. Ce rapport subjectif au trauma accueille suffisamment de facettes pour peupler la fresque d’un châtoiement d’émotions et de troubles divers, cinquante nuances de culpabilité, de honte, de colère, de rage, de haine – c’est normal : c’est ce que fait à l’âme le fracas d’un traumatisme, ici amplifié par sa dimension collective et son ampleur démesurée.

« Il ne faut pas chercher à comprendre »

Tous les professionnels qui ont été en contact direct avec cette nuit d’horreur et qui s’expriment actuellement dans les médias le disent : ce qu’ils ont vu là, c’est « une scène de guerre », des « blessures de guerre », nécessitant une « médecine de guerre ». La guerre offre à cet événement un cadrage technique, sémantique, analytique ; de la guerre, donc, il pouvait être question dans la série. La dimension polyphonique de son dispositif permettait de faire entendre, parmi d’autres, l’une des clefs de lecture de cet attentat : c’était un acte de guerre, s’inscrivant dans une guerre plus vaste, dont les assaillants ont fait état dans les propos qu’ils ont tenus durant l’attaque, mentionnant les bombardements en Irak et en Syrie, leurs victimes civiles, la responsabilité du président Hollande.

Ces propos d’ailleurs sont audibles dans la série, qui s’est efforcée à une certaine fidélité dans la reconstitution de l’événement : on les entend de la bouche des acteurs qui incarnent les assaillants, dans les flashes back qui hantent la mémoire des rescapés. Mais cette percée de réel est comme forclose : les victimes, qui sont les héros de la série et nos vecteurs exclusifs d’identification, ne les citent qu’en de rarissimes occasions, et bien sûr pour en disqualifier immédiatement toute pertinence. Marie parle fugacement à sa psy des « conneries qu’ils ont dit sur l’Irak, sur la Syrie », n’en dit pas plus et n’y reviendra plus. Quand Arnaud fait part des obsessions qui le tourmentent au chef de la B.R.I qui lui a sauvé la vie (« Je n’arrive pas à comprendre comment ces mecs ont pu faire ce qu’ils ont fait »), le professionnel de l’ordre le ramène aussitôt dans le droit chemin : « Il ne faut pas chercher à comprendre. Jamais ».

Redire la messe

La messe est dite, mais il faudra la redire, autant de fois que nécessaire, par tous les moyens : Sébastien est le seul rescapé représenté à l’écran à tenter de s’échapper de ce cadrage rhétorique (parfaitement conforme à celui qui domine le traitement médiatique mainstream de ces événements) ; un soir, au bar où se retrouvent les « potages » (potes otages), il ose : « Si la France elle bombardait pas les civils en Syrie, tu crois qu’elles auraient eu lieu les attaques terroristes ? »2. La fiction déploie alors l’artillerie lourde d’un recadrage sans appel. Dialogue : Arnaud : « J’en peux plus de ces clichés à deux balles. Tu te rends compte que c’est pas des arguments ? » – Sébastien : « C’est quoi alors ? « – Arnaud : « C’est des conneries monstrueuses. C’est de la bouillie prémâchée par des tarés du net ». Mise en scène : ils en viennent aux mains et se réconcilient aussitôt sous la pression amicale des potages. Construction du personnage de Sébastien : c’est un journaliste « pigiste » décoiffé, un peu rocker, façon rebelle – et ses propos semblent toujours plus relever du flou artistique et de la petite différence punk que de l’analyse politique… Avant d’en venir aux mains avec Arnaud, il a trahi sa vanité dans une dernière réplique : « Je comprendrai jamais c’est quoi le plaisir d’être un mouton ». On ne s’étonnera pas qu’il s’amourache ensuite d’une complotiste, elle aussi victime d’attentat, qui considère que « les séances de psy c’est fait pour nous rentrer dans la tête ». Ainsi tous les procédés dont dispose la fiction sont convoqués pour disqualifier la seule voix dissonante dans la chorale du trauma psychique, et forclore définitivement tout ce qui pourrait relever d’une analyse politique – sur la totalité des 8h de fiction, il n’est pas une occurrence du mot « politique » qui ne soit associée au mot « conneries ».

L’épisode terminal rejouera dans les grandes largeurs cette procédure de recadrage et de forclusion de l’analyse politique : alors qu’il témoigne à la barre du procès des attentats, Sébastien tente à nouveau d’interroger le contexte des bombardements opérés par l’armée française en Syrie, et le juge qui l’écoute paraît disposé à la patience. Pas la caméra, qui opte aussitôt pour un plan sur les potages assis dans l’audience, qui réprouvent bruyamment cette sortie de route – « C’est n’importe quoi ! » ; la parole de Sébastien, qui poursuit mezzo voce ses questions, est refoulée dans le hors-champ, recouverte par les murmures d’indignation de ses amis, meilleurs juges que lui.

Et pour bien verrouiller le dispositif, Arnaud, qui n’avait pas prévu de témoigner, bondit à la barre pour condamner les propos de son ami : « Contrairement à lui, moi je n’ai pas du tout envie de comprendre pourquoi des inconnus se sont permis de tuer des innocents. Moi je n’avais rien demandé. Je ne suis pas responsable de la guerre en Irak, en Syrie ou ailleurs. Ces gens-là m’ont condamné à un cauchemar qui s’arrêtera jamais. Je dois dire que j’ai été heureux, après l’explosion, de baigner dans le sang et les tripes des gens qui étaient venus pour nous massacrer (…). Quand je me suis rendu compte que l’explosion avait emporté une partie de la tête d’un terroriste et que moi je pouvais bouger, je pouvais me lever, et ben je crois que j’ai rarement été aussi heureux. C’était comme une forme de justice ». La caméra cette fois ne quitte pratiquement pas le visage de celui qui témoigne, sinon très brièvement pour des plans sur les potages qui opinent gravement du chef : consensus sans faille sur ce témoignage affectif d’une victime qui paraît valider implicitement (c’est assez naturel) la peine de mort : « c’est une forme de justice ».

Ajoutons qu’Arnaud est interprété par Benjamin Lavernhe, la seule star du casting ; il est dans la série l’époux de Marie, interprétée par Alix Poisson, qui est à la ville l’épouse de Jean-Xavier Lestrade, le réalisateur de la série : tous ces choix font plus qu’une signature du réalisateur, paraphant son geste et sa vision. C’est l’épitaphe de la série : je ne veux pas comprendre, je veux pouvoir haïr, et dire que mon mal est incurable3.

Politique du refus de la politique

Ce refus de l’analyse politique est évidemment une position politique, et de la politique, bien sûr, la série en fait copieusement – comme toujours quand on prétend ne pas en faire, et très droitière comme il est d’usage.

Non seulement elle nous invite à nous réjouir avec tous les protagonistes de ce que Gregory, malgré le traumatisme du Bataclan (qui lui a fait louper la première fois son entretien d’embauche), ait l’insigne honneur d’être enfin recruté comme ingénieur chez Dassault4 – son rêve d’enfant !, mais elle déploie un amour de la police presque embarrassant ; les personnages de la B.R.I sont absolument magnifiques, courageux, humbles, virils sans être insensibles, vraies gueules et belles voix crevant l’écran – alors que dans la vraie vie on ne saurait y avoir accès puisqu’ils doivent protéger leur anonymat5.

Ils opèrent en héros épiques infiniment admirables, sur le sort desquels la psy – pourtant très professionnelle, d’une neutralité frôlant la froideur – s’effondre en larmes : « On n’imagine pas le nombre de séparations, de divorces, de dépression chez les flics depuis le 13 novembre. Et rien n’est fait pour les aider ! ». Alors que traumatisés, ils le sont aussi bien sûr ; l’un des flics entrés dans le Bataclan en est sorti bouleversé, raconte-t-elle : « Il a tout de suite pensé aux photographies qui avaient été prises à l’ouverture des camps. Et ce n’est pas le premier, ce n’est pas le seul, à faire ce rapprochement avec les images de la Shoah » (Episode 5).

Retour à la Shoah

On tombe un peu de sa chaise devant une telle analogie : au delà du motif commun de l’amoncellement de cadavres, comment des corps déchiquetés à la kalashnikov baignant dans une mare de sang peuvent-ils consonner avec les traces visuelles de la découverte des camps, que nous avons vues par exemple dans Nuit et Brouillard6, qui, tout aussi insoutenables, sont d’une autre nature – corps émaciés par la dysenterie, d’une pâleur funèbre, orbites creusées par une interminable maltraitance ? On ne s’appesantira pas ici sur le discret pivot permis par cette analogie, qui assimile les djihadistes islamistes aux nazis, pivot sans doute trop inconscient pour être disséqué… Mais on peut s’interroger : peut-être cette citation est-elle « réelle » ; peut-être un policier choqué a-t-il vraiment dit ça, qui en dit long sur le caractère borgne de notre mémoire collective, qui nous ramène toujours au sol européen, à nos suppliciés historiques, à nos traumas sacrés, à notre Shoah.

Car cette vision d’épouvante de la fosse du Bataclan, on peut supposer qu’elle se rapproche bien davantage, visuellement, des scènes de guerres tout à fait contemporaines dont les images nous parviennent via les réseaux : corps démembrés, déchiquetés, par des frappes de drones, des bombardements ou des tirs de snipers. Certes, ces images ont connu un essor récent dans le cadre de la guerre menée par Tsahal contre la population palestinienne de Gaza, et le flic de 2015 ne pouvait en être imprégné comme nous le sommes maintenant.

Mais en 2015, n’y avait-il vraiment aucune image, aucune perception, aucune conscience des conséquences, sur les corps des civils, des guerres que menait notre armée dans les pays que la coalition avait décidé de frapper ? Il faut croire que : non7. Ce qui décidément est significatif de notre opiniâtre cécité, que la série reconduit avec méthode. Cette zone blanche dans notre champ perceptif, on peut proposer de l’appeler : notre Blanchité.

Terminus : le sanctuaire de la Blanchité

On ne s’étonnera pas que la série s’achève en apothéose, sur la réalisation d’un fantasme qui assure les conditions matérielles de sa persistance : Arnaud et Marie s’offrent (probablement en partie grâce à l’indemnité financière à laquelle leur statut de victime d’attentat leur ouvre droit) une jolie petite maison à la campagne, où tous les « potages » se retrouvent autour d’un joyeux barbecue où ils chantent en chœur (comme à peu près à chaque épisode : résilience par la chorale, vertus de l’unisson).

Tous les signes (barbecue compris) convergent pour faire de cet espace un sanctuaire – loin du tumulte de la cité, de sa « politique », de ses risques, de ses indésirables : plus la moindre trace d’altérité – et convertir cette résidence secondaire en une résidence principale. Arnaud veut désormais s’installer à demeure et devenir paysagiste : ainsi pourra-t-il cultiver, outre des arbres-des buissons-un potager, sa volonté de ne surtout pas comprendre, et sa blessure psychique, intacte – et si précieuse.

Reclus dans cet écrin où nul ne pourra jamais le faire dévier de son programme, il vivra avec les siens comme la Blanchité veut vivre : gentiment lobotomisée, ayant abdiqué tous les raisonnements de causalité, trop susceptibles de nous jeter hors de l’irresponsabilité que nous chérissons – dût-elle nous faire persister dans l’incurable trauma de « l’incompréhensible ».

Service public de la propagande fascisante

Qu’en conclure ? Que l’audiovisuel public qui produit et diffuse une série si parfaitement verrouillée dans son propos idéologique ne se met nullement au service de « l’interêt général » qui est officiellement censé lui servir de boussole, et qu’il sert au contraire une visée partisane parfaitement située – très très à droite de l’échiquier politique, comme ses concurrents de l’audiovisuel privé. Héroïsation dégondée des forces de l’ordre, admiration larmoyante pour notre industrie d’armement, déshumanisation systématique des adversaires renvoyés à une impénétrable barbarie, confusément associée à la barbarie nazie, jouissance revendiquée de leur mise à mort, éradication systématique de tout effort de rationalité : tout est en place, imaginairement parlant, pour une société fasciste, armée pour le « choc des civilisations », persuadée que ce sont sa « liberté » et sa « démocratie » qui lui valent que des obscurantistes décérébrés tournent contre elle leur violence absurde.

Les violons insistants qui accompagnent la séquence de la « cérémonie d’accueil dans la nationalité française » par laquelle David, l’un des rescapés (chilien de naissance), obtient sa naturalisation sous les yeux embués de ses potages (épisode 7), ne doivent pas nous tromper : derrière la douceur lyrique de cette harmonie de cordes, c’est le bruit des bottes islamophobes et le fracas des guerres impérialistes qui s’échauffe tranquillement au creux de nos âmes, alanguies par la douceur de nos canapés.

Ainsi va le travail de l’hégémonie, qui s’impose avec d’autant plus de force que ses formes sont onctueuses, s’insinuant de psyché à psyché en se lovant avec grâce autour du motif faiblement polémique, au fond inoffensif, de la « résilience » : la fausse bataille contre le trauma opère ici en cheval de Troie, simulacre nous pénétrant intimement en dérobant à nos yeux la véritable armée qui nous enrôle insidieusement  – au cœur de la Blanchité, et de sa guerre permanente contre l’altérité qui menace son empire.

  1. https://www.leparisien.fr/culture-loisirs/series/je-ressens-de-la-colere-un-rescape-du-bataclan-victor-anclin-zanotelli-apparait-malgre-lui-dans-la-serie-des-vivants-15-11-2025 ↩︎

  2. Des Vivants, Episode 2 ↩︎

  3. Le témoignage d’une autre rescapée du Bataclan, recueilli par Guillaume Pley dans l’émission en ligne Legend, révèle qu’un autre positionnement dans le rapport de la victime à son bourreau peut s’avérer relativement réparateur : évoquant la prise de parole finale, lors du procès, de Salah Abdeslam, qui y a retracé son parcours et demandé pardon aux victimes, Stéphanie livre cet aveu : « Ça m’a fait un bien fou qu’il parle, parce que ça m’a sortie de mon statut de victime : ce n’était plus une relation bourreau-victime, c’était une relation d’être humain à être humain, et je n’avais plus qu’une idée en tête c’était de parler à son avocate pour qu’elle lui dise de ma part « merci d’avoir parlé, que moi ça m’avait fait du bien, et que je n’avais pas de colère particulière contre lui. » L’avocate a proposé à Stéphanie de le dire directement à Abdeslam, ce qu’elle a fait : elle relate cet échange troublant, précisant qu’elle « avait pris le parti de croire ce qu’il avait dit » – « c’est juste mon point de vue », s’excuse-t-elle presque. Elle évoque son émotion alors, et celle qu’elle a vue chez Abdeslam, leurs remerciements réciproques, le « coucou » qu’ils se sont fait de la main en s’éloignant, lui vers la prison, elle vers ses amis rescapés. « Pour moi, conclut-elle, le procès était fini. J’ai compris plus tard que c’était ce qu’on appelle la justice restaurative, et c’est ce qui permet de clore le chapitre définitivement, de passer à autre chose ». Du bien que ça lui a fait, elle dit qu’il était « incroyable » : « toute la tension que j’avais accumulée pendant les mois qui ont précédé est partie (…), ça va mieux ». – « Je ne sais pas quoi dire », lui répond alors spontanément l’interviewer, manifestement désemparé par ce témoignage complètement hors cadre. Entretien ici : https://www.youtube.com/watch?v=-RLcOqr3IwM&t=5103s ↩︎

  4. Dassault Aviation se classe parmi les premiers industriels de l’armement au monde. ↩︎

  5. Dans la vraie vie surtout, en tout cas en manif, on croise plutôt des forces de l’ordre façon Sainte-Soline, suant la haine et la violence gratuite (voir la vidéo Médiapart : https://www.youtube.com/watch?v=TT8j4a10aKE…) Ceux-là n’existent évidemment pas dans l’imaginaire de la série – à charge pour nous de comprendre comment une même institution peut produire des corps collectifs aussi diamétralement opposés. ↩︎

  6. Nuit et Brouillard, Alain Resnais, 1957 ↩︎

  7. Peut-être convient-il de préciser ce que la grande messe médiatique nationale ne permet pas toujours de mesurer : « Ce qui est perçu comme « lutte contre le terrorisme » par le gouvernement qui intervient est simultanément considéré comme un acte de terrorisme d’État par la population cible » (Christopher J. Coyne et Abigail Hall, The Drone Paradox : Fighting Terrorism with Mechanized Terror, The Independant Review. A Journal of Political Economy, 2018 ; cité par Mathias Delori dans La guerre contre le terrorisme comme rivalité mimétique, ed Peter Lang, 2025). Mathias Delori cite plusieurs témoignages de civils terrorisés dans divers pays frappés par la coalition ou par la seule armée française, qui permettent d’apercevoir ceci : les scènes d’horreur que nous subissons à l’occasion des attentats terroristes ressemblent à celles que subissent les populations civiles des pays que nous bombardons ou visons par nos drones tueurs, nos armes font à leurs corps ce que les leurs font aux nôtres, et leurs traumas ne sont pas moins durables que les nôtres. On pourrait, si ce n’était obscène, consacrer des milliers d’heures de série à l’histoire de leur « résilience » et de ses échecs ↩︎


Qui veut la peau de la Démocratie? Avec Francis Dupuis-Déri

22 novembre 2025


Les Vraies Raisons derrière la Montée du Fascisme - Johann Chapoutot

9 novembre 2025

 


« Corruption : la justice face aux pressions et aux intimidations »

20 octobre 2025


L’échappée. Olivier Mannoni : « Le fascisme commence par le langage »

10 octobre 2025

Durant cette « échappée », Olivier Mannoni nous explique ainsi comment Donald Trump et son entourage parlent comme Adolf Hitler et les propagandistes nazis. Cette « langue du même et de la racine » s’accompagne de mécanismes langagiers que partagent les médias de la haine : simplification outrancière de la réalité, petites phrases comme autant d’uppercuts, vérités alternatives dans une inversion systématique du sens. Cette brutalisation va de pair avec une transgression permanente dont le charlatanisme assumé et la grossièreté illimitée sont autant d’armes langagières pour faire taire les opposant·es, les paralyser et les stupéfier. Cette nouvelle langue des fascismes est aussi un « parler pègre » dont Vladimir Poutine est coutumier, évoqué par le récent essai de la philologue Barbara Cassin La Guerre des mots.  « On prend tout ça pour de la frime, on ne prend rien au sérieux et on sera bien étonnés le jour où ce théâtre sera devenu une sanglante réalité » : cette conversation avec Olivier Mannoni actualise l’ancienne mise en garde de Victor Klemperer, célèbre auteur de LTI, la langue du IIIe Reich. Lequel ajoutait ceci : « Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelque temps, l’effet toxique se fait sentir. » Face à cette extrême droite pour laquelle les mots sont des armes, nous devons mener cette bataille du langage. Telle est l’alerte d’Olivier Mannoni, qui écrit dans Coulée brune : « Nous sommes à ce carrefour. Si nous prenons le mauvais chemin, le pire est assuré et la novlangue d’Orwell ne sera qu’une plaisanterie par rapport à ce que nous devrons subir. »


Crise de régime ? La réponse de Gérard Noiriel

9 octobre 2025

Historien et sociologue, Gérard Noiriel débarque sur le plateau d’«Au Poste» avec son nouveau livre : Le peuple français, histoire et polémique. Face à une actualité politique en effervescence, il démonte les dix grandes peurs instrumentalisées par les populismes : immigration, insécurité, wokisme, laïcité… Avec clarté, il montre comment ces peurs sont recyclées à l’infini pour diviser. Mais aussi, à rebours du désespoir ambiant, pourquoi le peuple français tient bon. Une plongée dans l’histoire longue, pour comprendre les fractures d’aujourd’hui et les pièges d’un espace public confisqué. Gérard Noiriel n’est pas là pour commenter l’actualité : il vient l’éclairer. Et nous, lui porter parfois la contradiction.


Comment la France écrase la société civile (Avec Maria Lesire Schweizer)

5 octobre 2025


Entre deux guerres

5 octobre 2025

https://blogs.mediapart.fr/jfcoffin/blog/051025/entre-deux-guerres

Les historiens du futur (si tenté qu’il y ait encore des historiens dans le futur) auront peut-être l’heur de parler de nos générations comme celles d’un entre-deux guerres, à l’instar des générations nées entre les deux premières guerres mondiales.

Aucune de ces deux guerres n’a mené à la fin du monde, tout juste et l’actualité l’esquisse, la fin provisoire d’un monde de nations belligérantes entre 1914 et 1945.

Cet espace-temps, proposé comme un continuum par certains historiens vient remettre en question le parallèle auquel je tente ici de me livrer, ni historien, ni spécialiste, simplement citoyen intéressé par l’histoire contemporaine et par l’actualité comme ferment de l’histoire de demain.

Dans ce cas-là, nous pourrions bien être les premières générations d’entre deux guerres.

Je lis, j’entends, j’écoute de nombreux spécialistes considérer (à juste titre me semble-t-il) que l’espace sémantique auquel peut être associé le terme de guerre dépasse de loin le seul théâtre des morts de masse qui n’ont pas manqué de se succéder depuis 1945.

Je lis, j’entends, j’écoute « guerre hybride », « guerre économique » et bien d’autres qualifications de ce que le site du cnrtl définit comme : « Situation conflictuelle entre deux ou plusieurs pays, états, groupes sociaux, individus, avec ou sans lutte armée. »

Dans le monde qui est le nôtre (et le produit de notre consentement individuel et collectif) nos dirigeants nous enjoignent de nous battre pour mériter la place que nous concède une société elle-même tout occupée à faire le tri et à classer ses membres des plus performants et des plus puissants aux plus déficients et aux plus faibles.

Jusque lors la faiblesse pouvait être en grande partie expliquée et justifiée par des éléments de fragilité individuelle endogène ou exogène et placer la personne concernée sous protection provisoire (état providence) ou définitive dans le souci de fidélité à quelques règles collectives relevant de l’éthique et de la conscience du sort commun propre à la condition humaine.

L’actualité vient nous rappeler que la guerre non létale peut céder la place à une guerre avec promesse de mort violente plus ou moins rapide ou promesse de traumatisme et de séquelles physiques ou psychologiques.

Je vais me permettre ici d’introduire une réflexion qui me trotte dans la tête depuis quelques jours : de plus en plus, j’en suis venu à considérer le travail salarié comme une possible continuité de la guerre meurtrière sous une forme moins sanglante mais parfois tout aussi violente avec son lot de traumatisme et de séquelles.

La recrudescence de situations d’inaptitude en témoigne, sans compter les situations individuelles sous contraintes économiques qui se trouvent confrontées au dilemme de partir ou de rester, de partir en s’exposant à d’autres risques, ou de rester et de risquer sa santé mentale et/ou physique.

Pour revenir au titre de ce billet : finalement je reste sur l’idée que nous pourrons dire si nous survivons aux guerres qui s’annoncent, militaires, civiles, il sera peut-être possible de dire que nous appartiendrons et que nous appartenions sans le pressentir pour certains d’entre nous, à une génération de l’entre-deux guerres.

Gageons cependant que compte-tenu du niveau destructivité des armements du moment, il est peu probable que la suite puisse être comparée à celle dont ont bénéficié les générations de l’après deuxième guerre mondiale avec un dépassement qualitatif, somme toute rapide des conditions préexistantes et au final, ironie du sort, une promesse de violence collective aujourd’hui devenue le ferment de la montée de pouvoirs autoritaires, désormais, le plus souvent élus.

Pour ceux qui pensent encore que A. HITLER a été élu, j'invite à la lecture du dernier livre de J. CHAPOUTOT et au visionnage de son intervention dans les très récentes rencontres internationales de Genève.

 

Ajouter un commentaire

Commentaires

Test
il y a 2 mois

Test

TRUMP EST-IL FASCISTE ? Décrypter le retour des autoritarismes : leur héritage, leurs méthodes.

4 octobre 2025


L'ÉCONOMIE RUSSE EST-ELLE VRAIMENT EN TRAIN DE S'EFFONDRER ?

4 àctàbre 2025


Johann Chapoutot - "La guerre de tous contre tous ? Civilisation et régression, XIXe-XXIe siècles"

2 octobre 2025

Le monde en guerre ? - 58e session des Rencontres Internationales de Genève « On ne peut se défendre d’une certaine humeur », écrivait Kant, quand « on regarde les faits et gestes des hommes sur la scène du monde ». Ces propos des années 1780 restent les nôtres, d’autant plus que la litanie des guerres et des massacres semble sans terme et que les plus puissants de nos contemporains ne sont pas précisément animés par le respect du droit, du vivant et de la dignité humaine. Le constat d’une régression dans le processus de civilisation s’impose, du moins du côté des « élites », au spectacle de la violence brute, érigée en idéal et en norme, d’une extraction sans fin, qui puise dans les êtres et le monde jusqu’à l’épuisement, et d’une jouissance dans la dévastation qui laisse pantois. Il reste que la comparaison historique fournit tout de même de nombreux motifs d’espoir pour une humanité en quête de paix et d’intelligence, que la guerre contre la science, la démocratie et le vivant n’est pas une fatalité et qu’il reste possible de faire rimer histoire et espoir.

 

Johann Chapoutot est professeur d’histoire contemporaine à la Sorbonne. Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne contemporaine et du nazisme, il a publié douze ouvrages traduits dans dix-sept langues, dont Le nazisme et l’antiquité (PUF, 2008), La loi du sang (Gallimard, 2014), Libres d’obéir (Gallimard, 2020), Le grand récit. Introduction à l’histoire de notre temps (PUF, 2021) et Les irresponsables. Qui a porté Hitler au pouvoir ? (Gallimard, 2025). www.rencontres-int-geneve.ch

"Orwell: 2+2=5": Raoul Peck & Alex Gibney on New Documentary, Authoritarianism, Trump & More

2 octobre 2025


What Generals Really Say About Trump and Hegseth | The Daily Beast Podcast

30 septembre 2025


Charlie Kirk : « L’extrême droite tente de béatifier un homme qui professait la haine »

27 septembre 2025

The Dictator Oversteps | The Coffee Klatch with Robert Reich

27 septembre 2025

Il est intéressant de juxtaposer ces deux vidéo/échanges entre d'un côté les journalistes de Médiapart et deux spécialistes de la politique américaine (dont Sylvie LAURENT qui dispose d'une véritable expertise critique de la société américaine et de son système et personnel politique) et de l'autre côté quatre démocrates, centristes, dont Robert REICH qui semble vouloir adopter ici une position à mi-chemin entre l'alerte et la considération d'un horizon dégagé de toute menace autoritaire. Il s'appuie pour cela sur le système électoral étasunien qui vient pourtant de démontrer si cela était encore nécessaire, son inanité. La position adoptée par les intervenants de Médiapart est sans concession ni illusion, de ces postures qui ne semblent possible à adopter que par celles et ceux qui se tiennent à distance psychologique, physique et surtout politique du mal qui prend forme outre-atlantique et qui menace en France. Nous ne pourrons pas dire que nous ne l'avions pas vu venir, nous ne pourrons pas dire que nous ne savons pas ce que ces individus peuvent mettre en place une fois au pouvoir.


DANIELA GABOR - LE CONSENSUS DE WALL STREET

26 septembre 2025


Against All Enemies – FULL MOVIE

25 septembre 2025


MONTÉE DU FASCISME : "RETAILLEAU C'EST LE SAL*UD À L'ÉTAT PUR" | HUGUES JALLON, JULIEN THÉRY

21 septembre 2025


Thomas Piketty, conversation à Millepages avec Christian Chavagneux

14 septembre 2025


« L’extrême droite n’arrive jamais au pouvoir seule »

13 septembre 2025

https://www.youtube.com/watch?v=zSyeNR-jJuw&t=1836s&ab_channel=Mediapart

L’extrême droite mondiale est bouffonne, mais elle se nourrit de pulsions, d’angoisses et d’abandons, et se hisse au pouvoir à coups de lâchetés et de compromissions. Le comprendre, c’est trouver des réponses pour la contrer. Un numéro d’« À l’air libre » spécial fascisme. 🗞️ Pour lire notre article « Elon Musk, un habitué des codes antisémites et suprémacistes » : https://www.mediapart.fr/journal/inte... 0:00 - 1:21 Introduction 01:21 - 04:07 Présentation des invités 04:07 - 12:12 Pourquoi utiliser le mot « fasciste » ? 12:12 - 15:33 Le bloc central pousse l’extrême droite 15:33 - 18:24 La complicité entre Vincent Bolloré et Bernard Arnault 18:24 - 22:50 Les technofascistes et l’État 22:50- 25:18 Où en est-on du fascisme en France ? 25:18 - 31:47 L’extrême-centre, artisan du chaos 31:47 - 37:46 La performance, levier du fascisme 37:46 - 45:37 L’extrême-droite et le monde des affaires 45:37 - 48:02 Le putsch technologique 48:02 - 55:00 « Les nerds de l’apocalypse » 55:00 - 1:02:14 Comment ne pas devenir fasciste 1:02:14 - 1:08:24 Ne pas avoir la tête sous l’eau 1:08:23 - 1:09:23 Conclusion

 

Cancer généralisé

11 septembre 2025

https://blogs.mediapart.fr/jfcoffin/blog/060925/cancer-generalise

Cancer : oui, le terme me semble approprié.

Généralisé, oui, aussi, métastase après métastase, tous les organes sont atteints ou sur la voie de l’être avec un pronostic vital désormais un peu plus que simplement engagé : la fin est proche, elle nous est promise, elle est notre horizon. Un bon moyen de venir à bout du péril climatique.

Peut-on encore agir sur ce mal absolu ? De ceux qui rongent à petit feu, accoutumant à une douleur d’abord légère, puis de plus en plus vive, permanente, chronique jusqu’à son terme, un terme qui peu à peu se transforme en horizon d’attente : une libération.

Souhaitons-nous, désirons nous être libérés de nous-mêmes, allégés du fardeau de la vie, de la dette, de la menace de guerre ?  

La question peut être posée et elle nous est posée par des puissances politiques, bien incarnées, bien concrètes et subjectives, bien (mal) intentionnées, pour elles-mêmes (pour nous).

Souhaitons-nous, désirons nous vivre, ensemble, dans l’altérité, en paix, avec le soucis de créer les conditions de vie les plus favorables à notre santé, à celle de l’environnement, tout simplement à l’avenir ?

Il semble bien que nos dirigeants, ceux-là mêmes que nous plaçons régulièrement aux pouvoirs qu’ils convoitent, aient décidé que le temps des grandes décisions engageant notre avenir est venu.

La guerre est leur horizon, les armes destructives leur passion, armes économiques, armes politiques, armes militaires. Tout est bon pour mettre au pas les peuples qui ne le sont pas encore assez, ni assez soumis ni assez obéissants ni assez convertis aux idéologies folles qui désormais gouvernent la vie sur terre.

Les peuples, nous-mêmes, sommes-nous, sont-ils capables de reprendre leur destin en main ? Aussitôt le « comment » vient et le « à quel prix ».

Comment guérir d’un cancer en cours de généralisation sans que la solution retenue consiste en la liquidation du corps malade ?

A suivre : de l’espoir et une attente, une pensée dirigée vers le désir de vivre, avec les autres, en société, dans la diversité. Ce désir est bien là, mais lui-même découragé sinon en cours de liquidation par celles et ceux qui lui préfèrent leurs besoins et attendent de nous que nous leur apportions les réponses attendues.

Le cercle est vicieux, nous y sommes entrés, par paresse démocratique, par souci tout à fait légitime de faire passer sa propre existence avant celle de la société.

Mais voilà, jusque lors, l’une était finie, l’autre pas.

Et elles doivent l’une et l’autre le rester, complémentaires, la seconde obligeant la première à penser sa suite et son héritage.

Songeons enfin à cet échange (faussement) capté entre V. Poutine et Xi à propos de la promesse d’une vie prolongée jusqu’à cent cinquante ans, une promesse à portée de main (e leur pouvoir) et dont il me semble assez évident qu’ils imaginent pouvoir en disposer.